GOUVERNER : UN MÉTIER IMPOSSIBLE
Un manager, qu’est-ce que c’est ? C’est une personne aux prises avec la réalité de l’entreprise et de ses collaborateurs, aux prises avec des hommes et des femmes à diriger et à animer.
C’est un sujet aux prises avec sa propre vie, cette vie qui l’a amené à prendre des responsabilités. Difficile métier que celui d’administrer les hommes et les choses. Comment un être humain peut-il prendre la responsabilité d’une telle mission ?
Comment peut-il prétendre savoir ce qui est bien pour lui et pour ses collaborateurs sans avoir fait un travail sur lui-même ? C’est-à-dire avoir appris avec un expert du savoir être, psy, coach, tout ce qui mobilise un être humain, de manière à la fois consciente et inconsciente.
Freud disait déjà que gouverner était un métier impossible. C’est pourtant à ce défi qu’est confronté quotidiennement le manager. Que faire ?
Beaucoup de responsables d’entreprise sont las aujourd’hui des manuels de management et des recettes à la mode. Les formations au management, quand elles ne sont pas oubliées par ceux qui les ont suivies, voire quand elles ne sont jamais proposées par la hiérarchie, montrent régulièrement leurs limites. Lorsque toutes les recettes ont fait flop, il ne reste alors, le plus souvent, qu’à s’en remettre à un sujet « supposé savoir », selon la célèbre formule de Lacan : le coach par exemple.
UN COUPLE ÉTRANGE, LE MANAGER ET SON COACH
Le coach est-il le Méphistophélès de Don Juan, le Sancho Pança de Don Quichotte, le valet Matti de Maître Puntila, le Vendredi de Robinson ? Le coach est-il un bouffon, une éminence grise, un souffre-douleur, un confesseur, un confident, un maître à penser, un mentor, une bonne mère, un père sévère, un thérapeute ? Les avatars du transfert étant multiples (« Mon boss ressemble à mon père », « La DRH c’est le portrait de ma sœur »), Il y a toujours une nécessité pour le sujet de passer par « l’autre », un autre qui ressemble par certains traits à des familiers qui ont constitué les bases de notre identité, si on veut avoir accès à sa vérité personnelle.
Le coaching serait donc une version moderne du dialogue socratique : faire le pari que les gens connaissent déjà la réponse aux questions qu’ils se posent. Mais du coaching il y en a de toutes sortes, du conseil technique à l’emprise psychologique qui flirte avec la suggestion.
Or, le coaching est avant tout une rencontre entre un sujet en demande (le manager) et un sujet supposé savoir (le coach). Une situation qui n’est pas sans rappeler la demande faite au psychanalyste.
Ces choses étant précisées, un coaching psychanalytique se justifie même s’il existe une contradiction sémantique entre le coaching (avec son idée de direction) et la psychanalyse (avec son idée de liberté, de rencontre profonde avec soi-même). Du coup, ce type de coaching ne sera évidemment pas un « outil de gestion » au sens étroit du terme.
L’OR ET LE PLOMB
La question d’une pratique psychanalytique hors du cadre classique n’avait pas échappé à Sigmund Freud, qui suggérait déjà de « mélanger le plomb à l’or pur de la psychanalyse ». L’histoire a montré que la chimie de cet alliage se porte bien et l’on a en effet assisté à l’apparition d’un certain nombre de pratiques d’inspiration psychanalytique : thérapie de groupe, psychanalyse d’enfant, thérapie familiale ou de couple, groupe Balint, psychodrame analytique… Ces pratiques se constituent en fait comme des « produits dérivés » de la psychanalyse.
Elles se distinguent cependant, sur le fond comme sur la forme, d’autres pratiques dites de « développement personnel » telles que l’analyse transactionnelle, la PNL, la Gestalt ou la sophrologie, pour n’en citer que quelques unes. Il convient de classer ces démarches hors du champ analytique. Les pratiques d’inspiration psychanalytique on en effet cette caractéristique d’offrir à des sujets en questionnement, en difficulté ou en souffrance, un lieu où la question de leur désir peut être posée ; d’offrir un lieu où une ouverture de l’inconscient peut se faire.
Pour revendiquer une filiation psychanalytique, le coaching doit répondre à certains critères : la mise en place d’un cadre formel, la reconnaissance de l’inconscient, la reconnaissance des résistances du sujet, du transfert et du contre transfert, une écoute non « spécialisée », « généraliste » du coach (même si les objectifs ont un caractère professionnel).
Elles se distinguent aussi par la non intervention de l’analyste dans cette vie professionnelle, l’injonction au secret sur ce qui s’est dit pendant l’intervention, alors même que sa rémunération émane d’un tiers (budget de formation par exemple).
PSYCHANALYSE ET DÉONTOLOGIE
La déontologie du coach qui s’appuie sur la psychanalyse offre sans doute la meilleure garantie pour le manager en matière de coaching. En effet, il ne sépare pas jamais « l’être sujet » de « l’être professionnel ». Il sait que pas plus les enfants ne naissent-ils dans les choux, les managers ne se sont entièrement construits à l’intérieur de l’entreprise. Ils sont le produit d’une longue histoire familiale, émotionnelle, culturelle où, à un moment donné, l’organisation est venue s’inscrire.
Le coaching psychanalytique va donc permettre au manager de mieux se situer dans l’exercice de l’autorité, dans les problèmes de communication et les conflits de personnes parce qu’il va d’emblée l’aider à se repérer dans les phénomènes de transfert, de projection et d’identification. Il va enfin lui permettre d’explorer autant les fameuses motivations que son désir.
DU SAVOIR VIVRE AU SAVOIR ÊTRE
Il lui permet d’élucider l’articulation entre vie professionnelle et vie privée. Si le coaching psychanalytique n’est pas une thérapie, il offre la possibilité pour le manager de travailler sur les processus inconscients mis en jeu dans sa vie professionnelle. Il ne s’agit pas de flatter son ego, ni d’en faire un gestionnaire cynique et froid, mais de travailler sa position de sujet. Le coaching psychanalytique aide le manager à savoir être plus qu’à savoir paraître, il l’aide à intégrer un savoir-faire dans un savoir être, il l’aide à savoir-vivre. Le coaching psychanalytique est un moyen de donner du sens à un management dans le respect de soi et des autres, dans le respect d’une éthique personnelle à interpeller ou à redécouvrir. C’est bien plus qu’un lieu d’écoute.
Car il offre au manager un lieu où il puisse « s’entendre », écouter vraiment ce qu’il dit, dans un espace intime, même si sa propre vérité n’est pas toujours agréable à découvrir car la rencontre avec la psychanalyse dérange toujours…
Clinique du sujet et non de l’entreprise, le coaching psychanalytique porte sur le manager et non sur le management. Son coach est au service du sujet, même si c’est l’entreprise qui paie l’intervention, même si la modification de son comportement ne va pas toujours exactement dans le sens de ce qui était attendu par l’entreprise. A ce titre il convient de souligner que le « prescripteur payeur » (un DRH par exemple) doit accepter toutes les conséquences de cette démarche pour l’entreprise, ce qui nécessite une large ouverture d’esprit et une prise de risque de la part du commanditaire. Les effets du coaching psychanalytique sur l’entreprise vont de surcroît, ce qui ne veut pas dire que ce surcroît soit mince quand le manager, par exemple, cesse de projeter de façon toxique ses fantasmes, ses lubies et ses marottes sur son entourage professionnel.
Le coaching psychanalytique enfin ne s’adresse pas seulement à des managers qui se trouvent en difficulté mais à tout responsable souhaitant réfléchir sur sa pratique, sa position de pouvoir dans l’entreprise, sa position de « sujet citoyen » dans la cité et prêt à se remettre en question.
Roland Brunner, Luce Janin Devillars co-auteurs de Le coaching clinique psychanalytique, (L’Harmattan 2015).
Roland Brunner est psychanalyste et superviseur
Membre fondateur de la Société française de coaching (Sf’Coach) et de l’institut psychanalyse et management (IPM)
Enseigne la psychopathologie à l’Université Paris 8, HEC et à l’IFG.
Auteur de « Psychanalyse des passions dans l’entreprise » (Eyrolles 2009).