A propos du livre de Julia de Funes « Le développement impersonnel » (Editions de l’Observatoire, 2019) je voudrais partager avec vous la réaction de François Delivre, polytechnicien, fondateur de l’Académie du coaching, un très grand coach qui a formé et/ou accompagné des centaines d’aspirants à ce métier et tous ceux qui, à un moment ou à un autre de leur vie professionnelle et personnelle, souhaitaient, sur leur demande singulière ou celle de leur entreprise, y voir plus clair et aborder des changements nécessaires sereinement.
Luce Janin Devillars vous dit « Merci François » et vous laisse la parole ou plutôt la plume.
COMMENTAIRE SUR LE LIVRE « LE DEVELOPPEMENT (IM)PERSONNEL »
DE JULIA DE FUNES
Quoi, madame de Funès, voilà un bien méchant écrit que je ne comprends pas : comment a t-il pu être écrit par quelqu’un qui se dit philosophe ?
Car ce que j’attends de tout philosophe digne de ce nom, c’est au moins de la rigueur intellectuelle. « On nous accusera de faire l’amalgame », avez-vous écrit. Effectivement, vous versez dans cette grave erreur qui consiste à étendre abusivement à un ensemble les caractéristiques d’un sous ensemble, ce que vous faites en évoquant « LES » coachs comme s’ils formaient un tout unique. Votre procédé est redoutable et vous l’utilisez dans votre ouvrage le Développement impersonnel. Vous commencez par une précaution pleine de bon sens, je vous cite : « Cette appellation d’origine non contrôlée (les coachs) recouvre le meilleur comme le pire. » En tant que professionnel, je ne peux qu’être d’accord : il y a effectivement du meilleur comme du pire en coaching comme en philosophie, des bons professionnels comme des médiocres et, à l’extrême, des charlatans. Je me sens rassuré. Allons, vous reconnaissez donc qu’il y a du « meilleur » !
Mais tout de suite après ce « meilleur » disparaît et vous passez à une critique au vitriol qui porte sur l’ensemble des personnes qui s’intitulent coachs : « LES » coachs. C’est comme si je faisais un livre sur les philosophes en commençant par : « il est évident que chez les philosophes, il y a le pire et le meilleur… » et que je poursuivais par une critique en règle du genre « LES philosophes… blabla…. prise de tête… langage abscons… etc. »
« Mais ne m’avez-vous pas lu ? allez-vous me dire, j’ai écrit (je vous cite) : précisons que l’enjeu de ce livre n’est pas d’attaquer les coachs… » Grand dieux ! Si votre livre n’est pas du genre polémique, quel est donc sa forme littéraire ? Le site de la FNAC commente ainsi votre livre : « La philosophe Julia de Funès fustige avec délectation… »
Et comment pouvez-vous croire que tout (bon) professionnel ne se sente pas attaqué par des généralisations telles que les vôtres ? Si j’écrivais « LES philosophes… blabla… prise de tête… coupage de cheveux en quatre… » comment un (bon) philosophe ne se sentirait-il pas visé par mon propos outrancier et injuste ? Attaquer un groupe, c’est attaquer chaque membre du groupe dans son identité.
Alors je m’interroge : êtes-vous consciente de faire des amalgames ? Et si oui quelle mouche vous pique ? Pourquoi donnez-vous ainsi des claques à notre métier comme s’il s’agissait d’UN seul métier alors qu’il y a chez les « coachs » des formes d’intervention très différentes et des niveaux de professionnalismes extrêmement variables ?
Je pourrais faire une lecture sauvage de votre psyché en affirmant que c’est essentiellement votre goût de la polémique qui vous joue ce mauvais tour. En effet, parée des plumes de la philosophie, vous attaquez, dénigrez, persiflez et ne retenez de l’exercice du coaching que les déficiences de certains arnaqueurs (il y en a) en passant sous silence le travail de quantité de coachs professionnels qui font bien le job (il y en a aussi). Et le brave peuple de France Inter applaudit : « Wooh ! Vous avez vu comme elle a descendu les coachs ? » La polémique suscite le goût du sang, appelle au combat, fait parfois rire. Les media adorent, en accordant volontiers une audience d’un jour aux propos de tel ou tel polémiste, ça fait grimper l’audimat et assure une notoriété qui rapporte, au moins à court terme.
Mais… pan sur le bec ! Me voilà pris la main dans le sac à faire à votre égard ce que vous faîtes à notre égard : entrer dans vos pensées et vos intentions comme vous tentez d’entrer dans les nôtres quand vous évoquez les sombres enjeux secrets qui nous conduiraient à exercer ce métier… Ah madame de Funès, il est bien difficile de ne pas entrer dans l’arène depuis laquelle vous nous provoquez !
Je ne suis pas contre les polémistes. Ils ont une grande utilité lorsqu’ils visent à rétablir la vérité, combattre l’injustice ou faire rire avec tendresse : Émile Zola, Fernand Reynaud ou Blaise Pascal. Mais Zola, que je sache, n’a pas fustigé l’armée dans son ensemble. Dans J’accuse, il s’en est pris à des personnes.
Vous seriez pardonnable si vous ne connaissiez pas notre profession. Or vous la connaissez. Vos écrits mais aussi le petit monde de notre profession sait que vous intervenez en entreprise et que, comme nous, vous vous faites payer par elles. Je sais donc que vous avez croisé des (bons) coachs, des (bons) consultants, des (bons) dirigeants. Or de ceux-là vous ne parlez pas.
Faut-il alors répondre à votre attaque en contre-argumentant point par point et en revendiquant que notre métier n’est pas ce que vous en dîtes ? Evoquer le travail de structuration de la profession depuis 25 ans ? Mentionner les critères d’acceptation des professionnels mis en place par les associations de coachs ? Mettre en avant la déontologie, l’obligation de se faire superviser, l’effort théorique pour conceptualiser le travail des (bons) coachs ? Tout ceci serait pertinent si vous étiez prête à réviser votre jugement, à accepter que certains professionnels du coaching fassent du bon travail, bref à nous aider à nous améliorer. Donc prête à abandonner la polémique. Or la forme de votre livre fait douter de votre bonne volonté en ce sens.
Je ne veux donc pas répondre sur le fond à vos attaques mais m’attache uniquement au « processus » polémique que vous utilisez. Voir les processus est l’une des compétences majeures des (bons) coachs. Or ici, mon analyse me dit : vigilance ! Quels seraient les enjeux d’une contre attaque de notre part visant vos idées ou votre personne ? Qui serait juge d’une controverse entre vous et des professionnels du coaching ? J’en conclus que discuter avec vous du fond de vos critiques est une entreprise vaine. Un mot encore sur l’approche philosophique de déconstruction dont vous inspirez, celle qui « déconstruit pour libérer » selon vos termes. Etrange. Je croyais que cette approche visait à développer la lucidité et l’autonomie, ce en quoi les (bons) coachs applaudiront car c’est précisément la façon dont ils travaillent. Or votre livre ne « déconstruit » pas, il détruit en laissant derrière lui un vide abyssal. Car finalement, que proposez-vous pour que ça aille mieux sinon l’utopie que quelque chose de pur surgirait de la disparition du métier de coach ? Dans Vendredi et la vie sauvage de Tournier, au moment du naufrage initial, Vendredi se fait adresser ces mots flamboyants : « la pureté, c’est le vitriol de l’âme ».
Pour moi, je préfère ce que l’on construit, y compris avec des mains parfois sales et au risque de l’ambiguïté, ce qui est le propre de notre métier comme celui de presque tous les cadres en entreprise. Alors, honnis soient LES philosophes ? Pas du tout car nous aurions bien besoin que certains nous aident à clarifier certains aspects de notre métier. Je vous ai parlé de l’identité mais j’en dirais de même de la notion de changement (puisque c’est cela qui nous est demandé : le changement des personnes et des organisations). J’aimerais que des philosophes nous aident aussi à mieux comprendre ce que signifie « être soi-même » ou « deviens qui tu es » (puisque nous avons comme valeur l’autonomie). Nous aurions besoin de philosophie pour nous faire réfléchir sur le déterminisme et le libre-arbitre (à cause de l’ambiguïté du volontariat des personnes que nous accompagnons). Surtout, nous aurions besoin des philosophes pour nous rappeler que notre métier se situe dans la grande tradition des métiers d’accompagnement et qu’il répond à un vaste besoin social actuel.
Vous avez la plume facile et parlez avec aisance à la radio. Ce serait magnifique si vous utilisiez ces talents pour autre chose que ce livre qui n’honore pas la philosophie et ne sert en rien aux coachs pour ce qui devrait être leur enjeu principal : développer leur professionnalisme.
François Delivré, janvier 2020